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Penser la gestion des ressources finies : un impératif écologique

Penser la gestion des ressources finies : un impératif écologique

Pas simple de penser, en 2013, que dans moins d’années qu’on ne le pense on ne pourra plus faire aussi facilement des iPhone en aluminium, des vitres en verre ou des éoliennes efficaces. Les problèmes d’énergie et de développement sont liés aux problèmes de l’épuisement à venir des ressources finies, surexploitées depuis le début du vingtième siècle. Alors que le président Obama vient de s’exprimer sur ses engagements écologiques à tenir, il est bon parfois de revenir à l’essentiel : seuls une pensée et un mode de vie durables enfanteront une économie durable.

Le 18 mai 2013 est la date théorique estimée, et anecdotique pour beaucoup d’entre nous, du « dernier poisson français ». Si la France n’importait pas 62% de sa consommation en produits marins, elle aurait alors à ce jour épuisé son stock de ressources. « En 1990, cette date fatidique — et théorique — tombait le 6 septembre ; en 2011, c’était le 13 juin ; en 2012, le 21 mai ; cette année, elle arrive dès le 18 mai. Ce moment critique de plus en plus précoce trahit un déclin de la ressource. » affirme Le Monde.

Cet exemple est évocateur. Premièrement, et contrairement à ce que la journaliste du Monde prétend, la date, toujours plus précoce, de l’épuisement des quotas français en termes de produits marins traduit non pas directement l’épuisement de la ressource mais l’écart croissant entre offre (combien de poissons le français mange-t-il ?) et demande (combien la nature est-elle capable de fournir de poissons chaque année ?). La quantité totale de ressource disponible n’a de sens qu’une fois mise en perspective avec le nombre de prétendants à celle-ci. Deuxièmement, nous sommes capables d’évaluer les niveaux de stock, de nous alerter et de prendre des mesures pour tenter d’enrayer le cercle vicieux mais moins facilement de changer nos habitudes (comment réagirait-on si on nous imposait de manger deux fois moins de poisson ?) quand bien même la cause est tout à fait louable, à savoir la préservation de notre capital ressource.

Il n’est pas aisé de faire comprendre à quelqu’un qui a pris l’habitude d’avoir plus, qu’il devra faire avec moins. Imposer ceci à des milliards d’humains est alors une action bien plus difficile que gérer un simple caprice gourmand. La croissance, ou plutôt l’idée croissance est toute neuve à l’échelle de notre chère planète puisque c’est au début du XXe siècle qu’elle est née. Pourtant, personne ne contredira qu’elle est omniprésente dans les considérations économiques actuelles. Par définition, elle implique une évolution exponentielle. Si aujourd’hui surpasse hier, alors on attend encore plus de demain : ce modèle de développement a été suivi à la lettre par notre économie.

À l’époque, une hypothèse majeure — et tout à fait justifiable —  vis-à-vis des ressources disponibles a été faite. La demande étant ridiculement petite devant la quantité disponible, alors on pouvait considérer le stock de ressources comme infini. Le concept de croissance n’a, sous ce postulat, aucune limite. Dans un monde habité par presque 7 milliards d’humains, peut-on réellement encore croire à la validité de cette hypothèse ?

Mais alors, ce n’est pas un mythe écolo’, il y aurait des ressources finies, avec une fin, pour de vrai ? Avant d’aborder strictement les enjeux liés à cette question rhétorique, attardons-nous un instant sur trois ressources précises : le Lanthane (La), le Cérium (Ce) et le Néodyme (Nd). Si ces noms ne vous évoquent rien, c’est simplement une question de temps : attendez quelques années et leurs noms seront sur toutes les lèvres. Point commun ? Elles sont toutes classées comme terres rares, et référencées sur une liste d’éléments dont la pénurie a été annoncée d’ici 15 ans. Elles sont prisées pour leurs propriétés magnétiques, électriques, optiques, chimiques. À elle trois, ces ressources couvrent en fait plus de 80% de la demande mondiale en terres rares.

Que fait-on avec ces terres rares ? Avec le Lanthane on rend technologiquement possible et performant le stockage de l’hydrogène pour la pile du même nom et la fibre optique. Le Cérium est à l’origine des semi-conducteurs de dernière génération, et entre donc dans le processus de fabrication des puces et des transistors —  et donc des ordinateurs. Enfin, le Néodyme est prisé car c’est un aimant surpuissant. Les nouvelles générations d’éoliennes, mais aussi certains moteurs de voitures hybrides en dépendent.

Qu’arrivera-t-il sans ces éléments, alors ? Bonne question. Les industriels devront remplacer ces matériaux par des matériaux de synthèse, si tant est que ce soit possible. Tout cela en tenant compte du fait que, à en croire Jeremy Rifkin, notre salut face à la contrainte énergie-climat viendra de la troisième révolution industrielle, fondée sur 5 piliers théoriques :

  • Passer aux énergies renouvelables ;
  • transformer les bâtiments en micro-centrales énergétiques ;
  • développer les techniques de stockage pour gérer l’intermittence des énergies renouvelables ;
  • utiliser l’internet pour gérer et équilibrer demande, production et surplus ;
  • refondre les transports par une flotte de micro-véhicules électriques rechargeables.

Séduisant non ? Sur le papier en effet, mais nous sommes tout de même en droit de questionner certains points. Premièrement, comme nous venons de l’évoquer, un certain nombre de ressources-clés de l’innovation technologique et de l’accès à l’énergie propre arrivent à leur terme. Dans un second temps, on notera que la collecte de ces ressources est au cœur de tensions politiques : la Chine opère un quasi-monopole car elle extrait aujourd’hui 95% de la production annuelle en terres rares. La mise en place de quotas dégressifs à l’exportation contraint fortement l’essor des technologies de pointe dans les pays développés. Enfin, et la question n’est pas à prendre à la légère, qui va payer la facture astronomique de l’accès à cette technologie durable ? Et quelle part de la population sera financièrement capable d’investir dans celle-ci ? Serait-ce encore une solution pour l’élite des pays du Nord ?

Il y a une chose dérangeante dont ces porteurs d’espoir ne se rendent pas compte : ils mettent le lecteur dans une position où il n’est pas amené à remettre en cause ni son mode de vie, ni lui-même : « la technologie vous sauvera ! ». Communiquer au sujet de ces contraintes n’est pas aisé car elles font appel à une vision globale et des connaissances pointues. Beaucoup de médias grand public manquent de connaissances et d’approche globale du problème : ils confondent alors puissance et énergie, confrontent un panneau photovoltaïque d’une dizaine de Kilowatts à une centrale nucléaire d’un Gigawatt,… En voulant informer ils créent du non-sens, de la confusion. Et pourtant, les connaissances physiques ne sont pas un point de vue sur lequel on peut débattre, il n’y a pas de pour et contre, il y a une réalité, peu importe qu’elle soit douloureuse ou non.

Mais que viennent faire dans tout cela nos précieux métaux ? Par définition, une « terre rare » représente tout élément se trouvant très peu fréquemment à l’état naturel en concentration suffisante pour être commercialement rentable. Les terres rares sont l’exemple extrême de toute ressource finie : personne n’a déboursé le moindre euro pour leur création. Leur prix, et donc quelque part leur accessibilité, ne dépend alors que de leur coût d’extraction et de la demande. En fait, l’exploitation de ressources finies comme le pétrole, le gaz mais aussi le cuivre ou l’aluminium, répond à un théorème de mathématique dont l’allure est la suivante :

L’exploitation débutera par 0 (la découverte de la ressource ou de son utilité) et terminera à 0 (il n’y en a plus) passant par un maximum : le pic. En dehors de ces inamovibles, on peut envisager tous les comportements imaginables. L’aire sous la courbe représente la quantité totale de ressources et la hauteur de la courbe la quantité disponible l’année N. Jouons alors un peu avec les si.

Si aujourd’hui nous sommes à la flèche rouge, la partie hachurée représente la ressource déjà consommée. La quantité disponible par habitant sera alors la quantité extraite divisée par le nombre d’habitants. Si nous étions deux fois plus, alors chacun disposerait en théorie de moitié moins de cette ressource. En théorie, car en réalité c’est souvent de manière bien moins noble que les choses se passent : si la ressource est abondante alors chacun conviendra plus facilement à converger vers l’équité ; à l’inverse, si l’étau se resserre personne ne voudra céder un peu de son butin et les inégalités seront accrues.

Sans une vision globale de la ressource, nous avons alors connu une unique évolution : vers le haut et nous attendons toujours plus de demain. Nous allons être confronté à de l’inédit, que nous le souhaitions ou non — les mathématiques sont impitoyables.

Une autre implication de la gestion d’une ressource nécessite pourtant d’être éclaircie : ce que l’on appelle le pic d’exploitation. En effet, s’il n’est pas facilement observable et si ses délimitations ne sont pas très nettes dans la réalité, nous pouvons illustrer ce phénomène en prenant comme exemple le peak oil. On observe aujourd’hui un phénomène de plateau (en vert sur le schéma ci-dessus) concernant la production pétrolière.

Les compagnies pétrolières auraient-elles arrêté de creuser des trous ? Matthieu Auzanneau chroniqueur de The Oil Man, blog hébergé par Le Monde, a expliqué récemment  dans l’un de ses articles que « Total, par exemple, a vu sa production baisser de près de 20 % depuis 2007, alors même que le géant français dispose aujourd’hui d’au moins 40 % de puits d’extraction en plus ! La production de brut du groupe Total décline elle aussi depuis 2004. »  Malgré tous les efforts financiers, les majors du pétrole ne sont plus en mesure de mettre plus de ressources à disposition — les Trente Glorieuses sont bien loin.

L’exploitation des ressources : une procédure, des dizaines de prétendantes

Tout cela s’explique facilement par le processus même d’exploitation d’une ressource, qui est similaire dans de nombreux cas.

Au départ, on commence par récupérer la ressource qui est facile d’extraction. Deux métaphores pour comprendre : si elle est abondante, comparé au nombre de personnes assises à table, nous sommes en mesure de manger à notre faim, puis petit à petit, de prendre un sacré appétit. Puisque l’important c’est maintenant, que l’on fait partie des personnes assises à table et que le repas a toujours été plus copieux le jour d’après, pourquoi se faire de souci, après tout ? Quand la réalité nous rattrape, on cure l’os de plus près ou, pire encore, on met la moitié du repas de demain à la poubelle pour être sûr d’avoir l’assiette pleine le jour suivant. Et manger moins, alors ?

Derrière les métaphores il y a la réalité et la première renvoie aux gaz de schistes. Au cœur de la bataille énergétique actuelle, cette ressource se trouve emprisonnée dans les pores de la roche. La fracturation hydraulique, appelée aussi fracking,  permet alors d’en récupérer le précieux butin. L’aberration environnementale n’est pas le débat de cet article, mais voici sur le schéma ci-dessous à quoi ressemble le rendement d’un puits de gaz de schiste. Au-delà de 3 ans, sa capacité n’est plus que de 20% de son potentiel initial. Pour maintenir une production croissante, il faut de nouveaux forages en permanence.

La seconde métaphore renvoie, elle, au pétrole des sables bitumineux qui présente un taux de retour énergétique de 1/5 contre le 1/20 traditionnel pour le pétrole classique. Si on ne peut pas extraire à l’infini une ressource, peut-être faudrait-il alors se concentrer sur son utilisation ou plus précisément sur son cycle de vie et ne pas en faire systématiquement un produit secondaire non utilisable, à savoir un déchet.

Si « rien ne se perd et tout se transforme » comme disait Lavoisier, nous devrions alors utiliser les ressources en boucle fermée et recycler celles-ci ! Pour le pétrole, c’est raté : il est parti en fumée essentiellement sous forme de Co2. Mais quid du cuivre par exemple ? Ne pourrait-on pas le récupérer, le fondre et le réutiliser ? Bien entendu, le passage d’une économie linéaire vers une économie circulaire donnerait un coup de pouce à la sauvegarde de certaines ressources. Il faudrait alors concevoir l’objet même pour en faciliter son démantèlement et la séparation des différents éléments le constituant. En plus, il faudrait augmenter la durée de vie des produits pour réduire la fréquence à laquelle ils sont jetés et donc recyclés pour éviter de surcharger le cycle, ce qui, dans un premier temps conduit à augmenter la quantité de matière par objet. Enfin, il faudrait accepter de payer plus cher au départ, pour rendre rentable l’ajout des étapes conception et recyclage au prix de vente final. Ce point aura pour conséquence positive (du point de vue de la planète) de consommer moins et négative (du point de vue social traditionnel) de faire baisser le pouvoir d’achat.

Cela dit, on notera pour être complet que la notion d’économie circulaire n’est pas une solution miracle, notamment pour deux raisons : elle n’est pas hermétique et l’on ne peut pas récupérer tous les déchets pour en faire de futures matières premières. Au bout d’un certain nombre de cycles, la ressource est altérée et ne correspond plus aux critères de matière première.

Pour résumer ces quelques paragraphes, affirmons l’évidence : planète et économie ont aujourd’hui des objectifs opposés ; si plus de produits manufacturés vendus font la part belle à la croissance, ils font fondre notre stock de ressources et créent des déchets. Au passage, Veolia et Suez Environnement, deux géants français mis en avant pour leur savoir-faire et leur exemplarité en matière d’exploitation des ressources, se flattent l’ego en matière de communication verte et de développement durable. Quid des faits ? La France a été classée 10ème en Europe en la matière, moins reluisant ! Alors, pas si facile à mettre en place dans un pays riche, cet idéal ? Ou est-ce que le business est plus intéressant à l’étranger (respectivement 64 et 60 % des revenus proviennent de l’étranger pour Suez et Veolia) ? Sûrement un peu des deux.

Anticiper l’avenir en comprenant le passé

Suffit-il alors d’essayer de préserver notre capital ressources, sans compromettre notre économie actuelle ou nos ressources sont-elles inestimables ? Pour savoir où aller demain, il est parfois utile de regarder en arrière : penchons-nous sur ce que l’histoire de l’Ile de Pâques nous enseigne.

Car dans cette triste histoire, il y a bel et bien eu une rupture entre réalité physique et l’outil de transaction argent : cette perte de lien fut une des causes avancées pour la chute de l’Ile de Pâques. Cette île du pacifique disposait au XVème siècle de deux ressources principales : le bois et le poisson. Avant l’apparition de la monnaie pour faciliter les échanges, il était naturel de penser qu’il ne fallait pas pécher plus de poissons que ce que la mer était capable de fournir, ni abattre plus d’arbres que ce que la nature était capable de reproduire. L’apparition de la monnaie a changé la donne. En effet, si avoir plus d’argent devient un objectif en soi, alors les ressources seront surexploitées, si bien que le prélèvement sur le stock de ressources étant supérieur au renouvellement, l’épuisement des ressources sera inévitable.

Dans notre petite histoire de l’Île la fin fut la suivante : pas de bois dit pas de bateau, dit pas de pêche, dit pas de nourriture, dit famine, donc crise et effondrement du système. C’est tout le propos du chapitre 3 du très intéressant et abordable livre : C’est maintenant ! 3 ans pour changer le monde, paru en 2009. Si l’attention avait était portée sur l’évolution du niveau de ressources plutôt que sur la quantité extraite chaque année, notre chère Ile de Pâques serait peut-être encore là.

Si l’on considère ce microcosme comme une image du passé qui reflète notre macrocosme actuel, il semble donc impératif de passer d’une gestion de flux à une gestion de stock. La logique paraît imparable dans nombre d’exemples de la vie courante. Alors, pourquoi continuer à essayer de rouler plus vite sans regarder ce qu’il y a en face ? Si le niveau d’eau de notre puits ne cesse de baisser, allons-nous continuer à essayer d’ouvrir la vanne toujours plus ?

En ces temps de crise économique, c’est pourtant exactement ce que tentent de faire la plupart de nos décideurs politiques, puisque toute initiative majeure de redressement économique commencera ainsi : « Sur une hypothèse de croissance de X %… » ou « Pour relancer la croissance, nous proposons de mettre plus d’argent là et moins ici ».  Traduire la première par « Si le robinet veut bien couler à un tel débit » et la seconde : « Pour ouvrir encore plus le robinet, on va investir dans un plus gros sans savoir s’il y a toujours autant d’eau dans le réservoir qu’hier ».

Une gestion de flux ne donne aucune information sur le futur, et c’est aussi, ce n’est pas un hasard, exactement le cas du PIB : cet indicateur sans alarme sert de miroir de beauté de l’instant. Non pas qu’il soit inutile et à jeter à la poubelle, il n’est simplement pas pertinent pour une vision à long terme. Peut-être alors que, sans mélanger les pinceaux ou promettre la lune, il faut d’abord, avant toute action pratique, commencer par mettre en place de nouveaux indicateurs théoriques, qui seront enfin responsables. Le GPI pour Genuine Progress Indicator, par exemple, en est un.

Source : Pacte Climat