
Rail vs route : quelles priorités pour la mobilité du quotidien ?

La route : une priorité invisible des politiques de mobilité ?
L’idée semble bonne, surtout dans un contexte où la chasse aux émissions de gaz à effet de serre est lancée, afin d’atteindre l’objectif d’une économie totalement décarbonée en 2050. Il faut dire que le rail a des arguments à faire valoir : il ne représente aujourd’hui que 0,4 millions de tonnes métriques d’équivalents dioxyde de carbone par an, contre 71,7 millions de tonnes pour les véhicules particuliers et 33,3 millions tonnes pour le transport routier, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. « Pour nos concitoyens, moderniser le réseau cela se traduira par davantage de trains, une meilleure ponctualité et des temps de parcours moins longs, promet Elisabeth Borne, également ancienne ministre des Transports (2017-2019). Nous décidons d’un investissement important, mais il est nécessaire et essentiel, pour améliorer la qualité de nos transports, pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre (GES). » Donner davantage de place au rail dans le mix des transports relève donc du bon sens puisqu’il ne pollue presque pas.
Mais voilà, la réalité du terrain et l’urgence climatique auraient dû placer la route en tête des priorités. Car les efforts à consentir – de la part des pouvoirs publics, des entreprises privées et des usagers – devraient avant tout concerner le développement et de l’aménagement tous azimuts des infrastructures routières, en faveur des véhicules électriques, puisque l’Union européenne a fait ce choix. La route représente en effet 95% des émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports qui lui-même représente 31% des émissions totales de la France. Pour réduire nos émissions de GES, l’urgence est donc là. Seule la décarbonation de la route pourra faire chuter le niveau global des gaz polluants. Si l’État français veut honorer ses engagements, dont l’arrêt de la commercialisation des véhicules thermiques en 2035, il va devoir mettre les bouchées doubles en termes d’investissements. À la fois dans le déploiement massif des bornes de recharge haut débit dans l’espace public, mais aussi pour soutenir l’innovation et la recherche dans l’industrie européenne – et surtout française – des batteries. La France et l’Union européenne ont du retard sur la concurrence chinoise et américaine et rien ne laisse présager aujourd’hui que ce fossé puisse se résorber.
La voiture reste indispensable aux Français
Dans le plan gouvernemental, l’accent est donc mis sur la modernisation du réseau ferroviaire existant et sur le développement de nouvelles lignes. Mais les faits et les usages des Français prennent à contre-pied cette stratégie. Année après année, la voiture reste le mode de transports préféré nº1 dans l’Hexagone, et cela ne risque pas de changer. Selon une enquête Ipsos, 86% des Français utilisent au moins une fois par semaine leur voiture, 42% au quotidien. De plus, la grande majorité de ces trajets quotidiens se fait entre le domicile et le travail (quelle que soit la distance), pour lesquels l’alternative du rail est souvent inefficiente. « Pour les trajets longs, la voiture est hégémonique, avance l’INSEE. Elle représente plus des trois quarts des déplacements de plus de 5km, et même près de neuf sur dix au-delà de 15km. Pour des trajets inférieurs à 5km, l’usage de la voiture reste majoritaire. » Si la modernisation des équipements ferroviaires vieillissants est une excellente chose pour les usagers actuels, le financement public – par nos impôts – de nouvelles lignes ne produira pas les effets escomptés sur le report modal de la voiture vers le rail.
Mais ne faisons pas de mauvais procès à Elisabeth Borne. Elle a aussi promis de ne pas oublier les automobilistes. « Pour beaucoup de nos compatriotes, notamment dans les territoires ruraux ou encore dans les Outre-mer, la voiture reste indispensable pour la vie quotidienne, notamment pour se rendre au travail, souligne la Première ministre. J’en prends l’engagement : ils ne seront ni pénalisés, ni oubliés. Nos concitoyens demandent à circuler sur des routes en bon état. C’est la moindre des choses : nous leur devons. Je peux donc d’ores et déjà vous dire que nous renforcerons nos investissements pour mieux entretenir et moderniser notre réseau routier national. » Dans sa besace, la cheffe du gouvernement s’est également engagée à prolonger les primes à la conversion et à augmenter le bonus écologique pour l’achat d’une voiture électrique. Elle a aussi rappelé la promesse d’Emmanuel Macron de mettre en place un dispositif de location longue durée à moins de 100 euros par mois.
Malheureusement, là aussi, la réalité des faits nécessite de mettre un petit bémol aux effets d’annonce. D’abord parce que, contrairement aux 100 milliards annoncés en faveur du train, le soutien au secteur routier n’a pas été chiffré. Ensuite, parce que les véhicules électriques sont encore synonymes de fracture sociale : la sélection des heureux élus pouvant passer du thermique à l’électrique se fait par l’argent. Les véhicules sont trop chers (entre 20000 et 90000 euros) et, à terme, seuls les véhicules non-polluants permettront d’accéder aux centres-villes et aux ZFE (zones à faibles émissions). Avec le risque d’en voir exclue la grande majorité des Français, moins fortunés. Cette injustice sociale pourrait réveiller les démons des Gilets jaunes et générer la grogne des habitants des régions périurbaines.
La route, grand « impensé » de la transition
Pourtant, tous ces paramètres sont sur la table. En janvier dernier, le colloque organisé par La Fabrique Écologique – sous le titre La route, grand impensé de la transition ? – annonçait la couleur : non, les pouvoirs publics ne semblent pas prendre pleinement la mesure du défi que représente la décarbonation de la route. Même le ministre délégué en charge des Transports, Clément Beaune, l’avouait à demi-mots : « La route – qui a été au cœur de notre modèle de développement pour les années qui viennent – a non seulement de beaux jours devant elle, mais elle sera en plus contributrice à la transition écologique, tous modes de transport confondus. […] Mais aujourd’hui, la route est un impensé de la transition écologique qui est une préoccupation collective encore récente. » Les pouvoirs publics devraient probablement se pencher davantage sur la question, car le jeu en vaut la chandelle.
C’est une évidence : le rail seul ne pourra pas offrir toutes les solutions miracles aux défis posés par la mobilité du quotidien, la route restant bien évidemment la « vraie colonne vertébrale » de la mobilité en France. Reste encore à l’État français de mettre les moyens pour verdir le secteur routier. Et il y a urgence.