
Transport électrique : les pouvoirs publics en font-ils assez ?

Annoncée depuis plusieurs années, la révolution électrique dans le domaine des transports tarde à venir. Trop rares sont les Français à rouler dans un véhicule électrique et les freins à la mobilité verte restent importants avec un déploiement de bornes électriques encore trop timide, malgré une accélération notable en 2021. Si le discours tenu par les pouvoirs publics se montre plus réaliste, les financements font toujours défaut. Des exemples encourageants venus de l’étranger pourraient utilement inspirer les décideurs.
Bien que conscients de l’importance du transport électrique, les pouvoirs publics n’en font toujours pas assez pour développer massivement et sur tout le territoire français les bornes de recharge indispensables aux véhicules électriques. Si ce n’est pas par manque de volonté politique, on constate que les moyens mis en œuvre ne sont pas suff. L’objectif affiché de disposer de 100 000 bornes de recharge électrique n’a été accompagné que d’une enveloppe de 100 millions d’euros et une grande partie de l’effort est assuré par des acteurs privés. C’est notamment le cas des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) qui ont jusqu’au 1er janvier 2023 pour équiper chacune de leur aire de service de bornes de recharge. En juillet 2021, les aires d’autoroutes françaises comptaient 710 bornes de recharge selon l’Union Française de l’Electricité (UFE). Un chiffre en demi-teinte, car si la progression est forte (+48 %) en l’espace d’un an, il va falloir bien plus de points de recharge pour inciter les automobilistes à rouler en électrique sans craindre la panne sèche.
Booster l’offre pour satisfaire et augmenter la demande
A l’autre bout de la chaîne, les constructeurs automobiles se réjouissent : leurs modèles – français comme étrangers – se sont bien vendus l’année dernière. « 2020 aura été “électrique” avec près de 195000 véhicules électriques et hybrides rechargeables immatriculés, se félicite Cécile Goubet, déléguée générale de l’Avere, l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique. Non seulement, cela représente 125000 immatriculations supplémentaires par rapport à 2019, mais en plus, la déclinaison du contrat stratégique de filière, qui impliquait un objectif de 170000 unités pour 2020, a été largement dépassée. » Mais voilà, ces ventes, aussi prometteuses soient-elles, risquent d’atteindre rapidement un plafond de verre. La faute au manque de bornes de recharge.
Avec 43700 points de recharge en France début juillet 2021 – dont la majorité a un débit modéré de 14 à 22kWh –, la capacité d’accueil va être vite saturée. On compte dix véhicules par borne de recharge électrique et le chiffre grimpe jusqu’à 14 en prenant en compte les véhicules hybrides. Avec seulement 1 100 bornes fournissant 150KW ou plus, l’offre peine à suivre la demande et constitue un danger de voir le mouvement en faveur de l’électrique perdre de sa force. Sans effort radical pour changer la donne, les automobilistes tentés par les véhicules électriques pourraient maintenant bouder la révolution en marche. Chez Renault par exemple, leader du marché avec sa petite Zoé, l’immobilisme français de ces dernières années inquiète : « On est à 25000 bornes en France, par exemple, c’est trop peu, regrettait Gilles Le Borgne, directeur de l’ingénierie, en octobre 2020. On sensibilise les pouvoirs publics là-dessus. » Le verdict est sans appel pour lui : la France est très en retard.
L’appel a été en partie entendu, car la France compte presque 20 000 points de recharge de plus qu’il y a un an sous l’effet du plan 100000 bornes porté par le ministre délégué chargé des Transport Jean-Baptiste Djebbari et la ministre de la Transition Ecologique et Solidaire Barbara Pompili. L’État met plus volontiers la main à la poche en prenant en charge – dans le cadre du programme Advenir – « jusqu’à 60% du coût des bornes ouvertes au public, soit une aide allant de 2000 euros jusqu’à 9000 euros, alors que les montants étaient compris entre 1000 euros et 2000 euros jusqu’à aujourd’hui ». Pourtant, les réserves exprimées en début d’année se sont révélées fondées. Gianluigi Indino, associé au cabinet de conseil EY-Parthenon, assurait déjà que « Même en parvenant à doubler en 2021 le nombre de bornes posées en 2020, la France n’atteindrait que 60000 unités à la fin 2021. Il faudrait en poser cinq fois plus qu’en 2020 pour attendre l’objectif du contrat stratégique de filière. » Sans déploiement massif de nouvelles bornes, le marché des véhicules électriques s’essoufflera rapidement. Demain, c’est-à-dire à l’horizon 2030-2040, il faudra recharger vite et beaucoup de véhicules simultanément. Nous en sommes très loin.
D’où vient le retard ?
Comme dans de nombreux dossiers liés à l’aménagement du territoire et aux nouvelles énergies, les investissements publics sont insuffisants… Le nerf de la guerre, encore et toujours lui. Car l’installation de nouvelles bornes, dans toutes les régions de France, va représenter des investissements très lourds, à la fois de la part de l’État et de la part des opérateurs privés qui gèrent le réseau autoroutier français. L’un d’entre eux, Vinci Autoroutes, réclame même depuis 2019 un véritable « New Deal » pour la route. Son PDG, Pierre Coppey, expliquait ainsi les grandes lignes des enjeux à venir dans une tribune parue au Parisien : « La nécessaire décarbonation des transports (30% des émissions françaises de CO2) passe par l’autoroute, véritable levier de transformation environnementale. Nul n’est mieux placé qu’un opérateur autoroutier pour faciliter la transition vers une mobilité non thermique. Grâce à l’équipement du réseau avec des bornes de recharge électrique ou des stations d’hydrogène, il est possible d’accélérer la bascule du parc automobile vers des solutions à faibles émissions. C’est indispensable si la France veut tenir ses objectifs : fin de la vente des véhicules thermiques en 2040, neutralité carbone en 2050. » Car l’objectif est bien celui-ci : dire adieu aux voitures polluantes avec lesquelles nous avons tous grandi. Un appel qui trouve aujourd’hui un écho certain aux États-Unis où un plan de 7,5 milliards de dollars va être déployée en faveur des bornes de recharge électrique.
Face à ce plan massif, celui de 100 millions d’euros porté par le gouvernement – sur les 4,7 milliards dédiés au secteur des transports – ressemble à s’y méprendre à une goutte d’eau dans l’océan. Certains professionnels du secteur mettent plutôt la jauge à deux ou trois milliards d’euros – comme en Allemagne – pour que les bornes à recharge ultrarapide deviennent la norme et non l’exception. Le gouvernement devra forcément revoir sa copie, afin de donner une cohérence à son discours et de parvenir à souder tous les acteurs du secteur, publics comme privés, autour de son projet. « Les appels à projets, aussi innovants soient-ils, ne sont rien sans volonté de mise en œuvre, avec une gouvernance politico-administrative cohérente et forte, poursuite le patron de Vinci Autoroutes. Le moment est venu pour les autorités organisatrices de mobilité de passer de l’idée à la programmation. »