
UE : La présidence française doit faire mieux sur la stratégie de décarbonation des transports

Contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, la France ne pourra pas agir seule. La réponse se doit être européenne. Il est impératif maintenant pour les pouvoirs publics d’accompagner de manière efficace la décarbonation du secteur d’activité le plus émetteur de CO2 : les transports.
La décarbonation de l’économie tricolore ne se limitera pas à quelques mesures du Plan de relance lancé par le gouvernement français en septembre 2020. Elle doit s’inscrire dans une révolution en profondeur. Pour être efficace, la réponse la plus adaptée se trouve à l’échelle continentale. Le ministre français des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, l’a rappelé à ses homologues européens lors d’une rencontre informelle du 21 au 23 février dernier au Musée de l’air et de l’espace du Bourget : « L’Union européenne s’est fixé des objectifs pour 2030. Des objectifs ambitieux. Nous devons nous donner les moyens de les atteindre. Car c’est la crédibilité de l’Europe qui est en jeu. Nous ne serons pas crédibles pour 2050 si nous ne tenons pas nos objectifs de 2030. Soyons lucides : les véhicules électriques et à hydrogène sont, pour beaucoup, source d’inquiétude. Ils représentent un coût. Et, au-delà du coût, il y a un deuxième frein : c’est la peur de ne pas pouvoir les recharger. Ces inquiétudes, nous devons y répondre. »
Les chiffres inquiètent
Et les inquiétudes sont plus vastes que les seuls freins au développement des véhicules électriques. Car il est urgent d’inverser la tendance des émissions de gaz à effet de serre (GES), sans pour autant délocaliser notre pollution. Pour cela, pouvoirs publics et secteur privé doivent travailler de concert pour rendre compétitives les infrastructures de demain – dans l’aérien comme dans le routier –, tout en régulant de manière harmonieuse les transports, comme l’a rappelé le ministre français.
La présidence française de l’Union européenne a donc choisi de braquer les projecteurs sur ce grand chantier. Tous les indicateurs le disent : en 2019 en France, les transports étaient responsables de 31% du total des émissions de GES (contre 22% en 1990). Pire, 97% des émissions proviennent de la combustion de carburants, les véhicules particuliers étant responsables de 54%, les poids lourds de 24%. Ces chiffres donnent le tournis : la route doit être le chantier prioritaire des vingt ans à venir, devant la rénovation et le développement du train et la construction de pistes cyclables.
Décarboner les usages et les infrastructures
Décarboner les usages passera forcément par la généralisation des véhicules propres, roulant à l’électricité, au biogaz ou à l’hydrogène. Sur ce plan, la marche avant a été enclenchée timidement il y a dix ans, mais la tendance est positive. Les constructeurs automobiles savent que les jours des voitures essence et diesel sont comptés, les pays européens prévoyant la fin de leur commercialisation au plus tôt en 2030, plus généralement entre 2035. En 2021, les ventes de voiture électrique ont représenté en France 9,8% de parts de marché, avec 162106 unités vendues, soit une progression remarquable de +46,2% par rapport à l’année précédente. Mais elles restent toujours derrière les voitures essence (40,2%), diesel (21,2%) et hybrides non rechargeables (17,3%). Dans ce dossier, la France a du retard à rattraper par rapport à ses voisins du Vieux continent : la Norvège caracole en tête avec 64,5% de son parc automobile à l’électrique, devant les Pays-Bas (20,8%), la Suède (18,4%) et l’Allemagne (13,6%).
Le fret routier, lui, est en train d’explorer plusieurs pistes pour se passer du diesel. Tous les grands constructeurs sont en ordre de bataille, Mercedes, Scania, DAF, Renault, Volvo… Selon Carl Pattyn, le nouveau président de Scania France, la filière des poids lourds doit « contribuer à créer un monde de mobilité meilleur pour les entreprises, la société et l’environnement ». Les solutions alternatives au diesel sont connues, mais encore limitées à cause de l’autonomie qu’elles proposent : biogaz, électrique, bioéthanol, biodiesel, diesel synthétique… La course à l’innovation est lancée.
Reste à décarboner les infrastructures. Cela passe bien évidemment par le déploiement le plus rapide possible et le plus massif possible de bornes de recharge électrique haut débit, en France comme dans le reste de l’Europe. « Les Etats européens se sont mis d’accord pour accélérer le déploiement du réseau de bornes de recharge pour véhicules électriques, a affirmé Jean-Baptiste Djebbari à l’issue de la rencontre du Bourget. Un consensus de haut niveau s’est forgé dans l’ensemble des pays européens pour accélérer le déploiement des bornes de recharge. » Le temps presse : la répartition des bornes de recharges sur le territoire européen est encore trop disparate pour rendre évident le passage du thermique à l’électrique pour les usagers, souvent frileux à cause du prix d’achat des véhicules électriques. Mais tout peut changer très vite, comme la rappelé Fabien Leurent, directeur de recherche CIRED et Ecole des Ponts, lors d’une rencontre des acteurs de la mobilité du quotidien à la Fabrique de la Cité le 11 mars dernier, axée sur les déplacements longs : « De grandes entreprises américaines nous montrent qu’on peut radicalement changer la donne en quinze ans sur les modes de transport. »
Car si les véhicules électriques sont en train de gagner le cœur des citadins, ce sont bien les déplacements longs qui suscitent encore la défiance. « Dans l’urgence de la décarbonation, il n’y a pas de décabornation possible sans décarbonation des transports, en particulier routiers : 87% des transports dans notre pays empruntent la route, a également rappelé Pierre Coppey, PDG de Vinci Autoroutes à la conférence organisée par la Fabrique de la Cité. Si l’on veut décarboner les transports, il faut donc décarboner la route, et l’autoroute qui représente 30% des déplacements routiers. L’autoroute est la colonne vertébrale du réseau, il faut regarder l’autoroute comme une infrastructure capable d’accueillir plusieurs modes de transports, collectifs par exemple. Il y a là un potentiel de développement et de réalisation formidable. » Outre les bornes de recharge, la décarbonation de la route passe également par les changements de modes de construction, moins énergivores et faisant la part belle au recyclage, pour la fabrication des enrobés par exemple. Les pistes d’innovation sont nombreuses.
L’épineuse question du financement
Mais innover coûte cher : entre 60 et 70 milliards d’euros seraient nécessaires pour décarboner la route en France, selon Patrice Geoffron, universitaire et auteur d’une étude sur la décarbonation de l’autoroute pour le cabinet Altermind. « Cette transition est et sera coûteuse, confirme le ministre Djebbari. Elle s’engage sur des volumes inédits et dans un temps très court. Innover n’est pas une option, c’est une obligation. Car c’est la clé pour inventer les transports de demain. Et je dis bien ‘inventer’. Pas ‘bénéficier’ ou ‘profiter’. L’Europe ne doit pas importer les nouvelles technologies, les nouveaux services. Elle doit les produire. Produire des véhicules autonomes, des systèmes de transports connectés, des avions décarbonés. C’est une question de souveraineté. » Le plus complexe aujourd’hui est finalement de faire coïncider les volontés politique affichées et la réalité sur le terrain. La France doit par exemple investir davantage dans son réseau de recharge électrique : le Plan 100000 bornes lancé en 2020 par les ministres Jean-Baptiste Djebbari et Barbara Pompili n’a pas atteint son objectif pour 2022, le dernier baromètre d’Avère France début mars ne recensant que 55515 points de recharge publics actifs dans l’Hexagone. En progression certes, mais bien loin des objectifs fixés. Les politiques publiques vont donc devoir changer de braquet.
Pour tenir les engagements nationaux du « zéro émission » en 2050, de nombreux chantiers attendent l’Union européenne et la France. Celui de la décarbonation de la route doit passer en tête de l’agenda des politiques publiques, politiques publiques qui devront nécessairement s’appuyer sur la capacité du secteur privé à innover et à réunir les financements adéquats. C’est un rendez-vous historique à ne surtout pas manquer.